La responsabilité des acteurs de l’Education à l’Environnement : Défis et opportunités pour la promotion d’une éthique de la responsabilité
7ème « Colloque Mondial d’Education à l’Environnement » (Marrakech, Maroc, Juin 2013)
Yolanda ZIAKA, octobre 2015
La question de la valeur de la responsabilité se trouve au cœur de l’Education à l’Environnement et au Développement Durable. Comment les acteurs de l’Education à l’Environnement perçoivent-ils et assument-ils leurs *propres* responsabilités, face à des questions d’éthique, de gouvernance, de modèle de développement ? L’Education à l’Environnement est-elle un « enseignement de choix prédéfinis » ou une « éducation aux choix »? La réponse à cette question constitue un choix politique et détermine l’orientation de l’action de l’éducateur. Notre recherche, basée sur l’analyse d’une variété d’actions éducatives au niveau international, révèle des conceptions divergentes, liées à la nature conflictuelle des rapports environnement–développement et aux enjeux économiques et politiques, qui souvent conditionnent l’action des acteurs éducatifs. Cette analyse invite à réfléchir sur le sens même de la notion de la responsabilité et sur le sens de notre mission en tant qu’éducateurs.
Courons-nous à l’abîme ?
Le constat de une crise profonde dans notre monde globalisé est une évidence : crise économique, écologique, sociale, une crise systémique.
Quelles sont les caractéristiques de cette crise ? Dans le conte philosophique de Voltaire, publié en 1748, “Le Monde comme il va”, reflet de la société de Voltaire à son époque, nous trouvons – comme si rien n’était changé depuis lors – une analyse fine et extrêmement perspicace, on dirait, de notre propre époque.
Dans ce conte, les génies qui président l’empire du monde se trouvent en colère contre les excès des Perses. L’ange Ituriel, une de ces génies, confie une mission au Scythe Babouc. Babouc doit se rendre à Persépolis et observer ses habitants accusés de tous les maux, afin de rendre un compte fidèle à Ituriel, qui se déterminera, sur ce rapport, s’il faut châtier ou exterminer la ville. Arrivé à Persépolis, Babouc observe le comportement des habitants de la ville, et y découvre un monde où règne la violence, l’injustice, le vice, le crime… Babouc déchiré tantôt par la violence de cette ville, tantôt par quelques manifestations de vertu chez ses habitants, s’étonne : “Inexplicables humains, comment pouvez-vous réunir tant de bassesse et de grandeur, tant de vertus et de crimes?” Ce monde devrait-il être détruit ?
Serons-nous punis pour nos crimes, tout comme les habitants de Persépolis ? Sommes-nous aujourd’hui au point d’avancer vers notre destruction ?
L’originalité de la crise d’aujourd’hui se trouve dans le fait que c’est toute une civilisation qui semble prête à s’écrouler, basée sur la conquête et la domestication de la nature en vue d’une croissance économique considérée infinie. Les voix catastrophistes se multiplient de partout. La fonde des glaciers continentaux, la montée du niveau de la mer, les hurricanes, des pandémies infectieuses… Edgar Morin déclare en 2013 «Tout indique que nous courons à l’abîme et qu’il faut, si possible et s’il en est encore temps, changer de voie.» (Morin, 2013).
Des intellectuels ayant influencé la pensée contemporaine insistent sur le besoin urgent d’un nouveau paradigme conceptuel, d’une culture de la responsabilité (H. Jonas, 1979), d’une citoyenneté planétaire (M. Serres, 2009), d’un système éducatif qui permettrait de favoriser le développement d’une pensée complexe (Morin, 2011).
S’il est vrai que «toutes les crises de l’humanité planétaire sont en même temps des crises cognitives» interrogeant notre système de connaissances» (Morin, 2011), nous arrivons à la mission cruciale de l’éducation face à la crise, qu’elle soit appelée Education à l’Environnement (EE), Education à l’Environnement et au Développement Durable (EEDD), Education au Développement Durable, Education pour un Avenir Viable, et ainsi de suite. Ainsi, la question de notre propre responsabilité en tant qu’éducateurs, devient cruciale.
Nous avons voulu explorer la question de la responsabilité des acteurs de l’Education à l’Environnement par une recherche basée sur des interviews d’éducateurs en provenance de 10 pays dans tous les continents, et sur l’analyse de leurs écrits et de comptes rendus de recherches au niveau international.
Les défis d’une culture de la responsabilité
Le grand dilemme de l’éducateur, tel que nous le concevons est le suivant : l’Education à l’Environnement est-elle un « enseignement de choix prédéfinis » ou une « éducation aux choix »? Ou, comme il a été posé par un de nos interlocuteurs : «Que va-t-on discuter avec nos élèves: où va-t-on mettre la poubelle pour faire le tri des déchets? Ou bien, quels sont les grands axes du modèle de développement actuel et quelles en sont les conséquences?» Répondre à cette question constitue un choix politique et détermine l’orientation de l’action de chaque acteur éducatif.
A la lumière de notre analyse, il nous semble que notre responsabilité en tant qu’éducateurs consiste en :
-
éduquer à l’autonomie et à la pensée critique : questionner de mode de développement et le mode de gouvernance : «les règles de gestion de la maison commune au moment où la maison commune devient la planète» ;
-
questionner les concepts «politiquement corrects» (tels que le développement durable), d’explorer le potentiel de projets sociaux alternatifs (‘décroissance’ ? ‘écodéveloppement’ ? ‘œconomie’ ?…) ;
-
apprendre de vivre ensemble, de contribuer à construire des relations de respect entre humains et entre humains et environnement ;
-
contribuer à faire prendre conscience de la valeur intrinsèque de la nature, indépendante de l’usage que l’on en fait, de notre consommation et exploitation ;
-
former des citoyens confiants dans la valeur de l’action citoyenne, ayant l’envie d’agir et capables d’assumer leurs responsabilités, donc d’agir à tous les niveaux, du local au global ;
-
s’impliquer et d’inciter à l’action collective concrète au niveau local et à la prise de responsabilité concrète, en reconnaissant la valeur formatrice de la participation au débat public pour l’ensemble de la population locale.
Revenons, à la suite du conte de Voltaire. L’envoyé de l’ange, Babuc, découvre dans Persépolis, à côté du vice et du crime, un monde de vertu, d’altruisme, de générosité, d’actions d’humanité… Craignant que Persépolis ne fût condamnée «il fit faire par le meilleur fondeur de la ville une petite statue composée de tous les métaux, des terres et des pierres les plus précieuses et les plus viles; il la porta à Ituriel: « Casserez-vous, dit-il, cette jolie statue parce que tout n’y est pas or et diamants?"». Ituriel résolut de ne pas même songer à corriger Persépolis, et de « laisser aller le monde comme il va » « car, dit-il, si tout n’est pas bien, tout est passable ».
Faut-il laisser « Le Monde comme il va » ?
Voltaire n’est pas un père la morale. Selon lui, le mal est constitutif de l’homme, mais l’homme et la société sont perfectibles. Mieux vaut s’en accommoder et œuvrer utilement plutôt que de tout détruire.
On ne peut que miser sur la grandeur de l’âme humaine, sur la vertu. Edgar Morin déclare « Je suis de plus en plus convaincu qu’une réforme de la connaissance et de la pensée, donc de l’éducation, est vitale pour permettre à l’humanité de trouver et emprunter la voie nouvelle » (Morin 2013). Notre mission en tant qu’éducateurs serait de chercher « la voie » nouvelle, d’explorer ce nouveau paradigme conceptuel, de tenter de faire acquérir une éthique de la responsabilité.
Une éthique décrite de manière très belle et imagée par Albert Einstein:
« Un être humain fait partie d’un tout, appelé par nous l’univers, une partie limitée dans le temps et l’espace. Il s’éprouve, ses pensées et ses sentiments, comme quelque chose séparé du reste, une sorte d’illusion de sa conscience. Cette illusion est une sorte de prison pour nous. Elle nous restreint à nos désirs personnels et à l’affection pour quelques personnes le plus proches de nous. Notre tâche doit être d’embrasser toutes les créatures vivantes et la totalité de la nature dans sa beauté. »
Tâche énorme, celle de l’éducateur. Mission impossible ? Edgar Morin nous rappelle que la vérité pédagogique première formulée par Platon était «Pour enseigner, il faut de l’éros».
À télécharger : yziaka-7weec.pdf (340 Kio)